J’ai souvent écouté ce morceau lorsque j’avais la vingtaine, presque toujours dans cette drôle de version en concert, une version naïve, malicieuse et guillerette, avec des carillons qui scandent le rythme et une flûte à bec qui accompagne la mélodie.
À l’époque j’aimais beaucoup l’album « Seul en scène », issu d’une série de concerts donnés par Kent en octobre 1994 à La Cigale, et qui a été le seul véritable succès en solo de l’ancien chanteur du groupe punk-rock Starshooter. Comme l’a expliqué celui-ci à l’occasion de la réédition du disque, « Les maisons de disques sortent des lives après un album qui a bien marché parce qu’ils savent que, sans trop dépenser d’argent, ils vont vendre 1/3 de la version studio. Dans mon cas, ça a été le contraire. » Sans doute parce que les gens ont été touchés par la profonde humanité et la tendresse désarmante qui se dégageaient de cet artiste sensible, plus encore lorsqu’il était en contact avec son public : il était manifeste qu’il était « juste quelqu’un de bien » (titre d’une chanson d’Enzo Enzo qu’il a d’ailleurs reprise durant ces concerts, en duo avec la chanteuse parisienne).
Je n’ai pas écouté ce disque depuis fort longtemps, mais je suis toujours ému par cette chanson, par cet éloge des hommes qui savent garder vivant en eux leur petit enfant intérieur (« Écoute ton coeur de môme qui bat encore » ). Comme le dit superbement Cat Power (qui sera mon prochain partage musical), « Il faut toujours garder du respect pour l’enfant qu’on a été » , et ici Kent en donne un très bel exemple : mieux même, il nous rappelle que l’enfant qu’on a été existe encore en nous.
L’enfant intérieur, c’est la partie de nous-mêmes qui ressent et exprime nos émotions, qui demande, qui donne et qui reçoit librement, qui pleure, qui souffre, qui joue, qui rit, qui aime, qui désire, qui s’effraie, qui se réjouit, qui invente, qui crée, et qui à travers tout cela manifeste qu’il veut grandir (le complexe de Peter Pan n’est absolument pas enfantin, il est infantile, et c’est totalement différent). L’enfant intérieur, c’est donc la partie de nous-mêmes dont on ne s’ampute pas impunément. C’est la partie de nous-mêmes qui, lorsqu’on la réprime, lorsqu’on s’acharne à la faire taire, et même simplement lorsqu’on ne lui laisse pas assez de place, nous éteint progressivement et nous transforme en astres morts, ou pire encore en trous noirs dans lesquels notre entourage est englouti. « Mais l’âge et le temps racolent / les petits mômes » …
Si cette chanson est encore très chère à mon coeur, et si je préfère l’écouter dans cet enregistrement en concert à la Cigale plutôt que dans la version originale, c’est notamment parce qu’il y a un vers que Kent y a changé. Ce vers tout bête nous indique une leçon à méditer, en particulier quand on est devenu un adulte emprisonné dans ses rôles d’adulte et dans les normes sociales, et quand on en a oublié la leçon toute simple, pour son plus grand malheur, et souvent pour celui de ses proches, tout spécialement de ses enfants.
Les mômes veulent devenir des hommes, oui. Mais quand ils ont grandi…
« Tous les hommes veulent redevenir des mômes »
