Etant donné l’impact qu’a eu le COVID, le torrent de complotisme abracadabrant qu’il a généré, et le fait que l’actuelle mobilisation concernant la DNC est très perméable aux fake news sur le registre « L’Etat a volontairement créé la maladie pour pouvoir décimer les troupeaux et vendre des bagnoles dans le Mercosur, les vétérinaires sont des pourris à la solde de Big Pharma, et tous ceux qui défendent la position officielle devraient finir la tête au bout d’une pique », je trouve qu’on n’en a pas assez parlé: il y a deux semaines, une étude d’Epi-phare, publiée dans le Journal of the American Medical Association, a démontré de façon tout à fait claire l’efficacité et l’absence de danger des vaccins à ARN messager, ainsi que le titre cet article du Monde.
L’étude en question a été réalisée sur 28 millions de personnes âgées de 18 à 59 ans, résidant en France au 1er novembre 2021, et ayant reçu un remboursement de santé en 2020 : cela représente la moitié de la population française adulte. L’état de santé de l’intégralité de ces personnes entre 2021 et 2025 a pu être étudié de façon extrêmement précise et rigoureuse (sans biais a priori), grâce à une base de données qui permet de suivre individuellement chaque patient. On a donc pu étudier la mortalité toute causes confondues suite à la vaccination contre le Covid.
Dans cet (immense) échantillon de Français et de Françaises, 79% ont reçu leur première dose de vaccin contre le Covid-19 entre mai et novembre 2021, c’est-à-dire pendant la période de vaccination de masse des adultes (le pass sanitaire était entré en vigueur en juin 2021).
La conclusion de l’étude est claire et sans appel : « Se faire vacciner contre le Covid-19 n’a pas augmenté le risque de mortalité à long terme (jusqu’en mars 2025), qu’elle soit liée au Covid-19 ou à d’autres pathologies. » Bien au contraire, la mortalité des vacciné·es a été spectaculairement plus faible : 25% de moins !
Plus frappant encore : non seulement les personnes vaccinées sont moins souvent décédées du Covid, mais elles sont moins décédées tout court, quelles que soient les causes de la mortalité, y compris les accidents domestiques ou les accidents de voiture, y compris les cancers du poumon, y compris les vagues de canicule, etc.
Il faut aussi souligner que ces résultats sont valables indépendamment de l’âge, du sexe, de la profession, de l’état de santé, du niveau de tabagisme, etc.
Encore plus frappant: au début de l’étude, la population des vacciné·es était globalement en moins bonne santé que la population des non-vacciné·es. Comme le remarque The dentrobate doctor sur son excellente page Facebook, cela fait sens : « Les gens fragiles se sont plus vaccinés que les autres« . En tous cas le fait que la population vaccinée ait connu une mortalité moindre sur toute la période est d’autant plus révélateur.
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En science ce n’est pas le tout de constater un phénomène, il faut aussi mettre à jour ses causes. Pour expliquer les résultats ci-dessus, les auteurs de l’étude avancent plusieurs facteurs.
(1) La première explication est la plus évidente, et elle est déjà parfaitement « documentée », comme on dit en science (c’est-à-dire validée, attestée, démontrée): « Les personnes vaccinées sont moins mortes du Covid-19. » Pour elles, le risque de mourir à l’hôpital à cause du Covid-19 a été réduit de 74%. Quand on observe leur état de santé de six à neuf mois après la vaccination, 10,5% des non-vaccinés sont morts du Covid-19, contre seulement 1,9% des vaccinés ! [et pourtant, le taux de vaccination a été nettement plus élevé parmi les personnes âgées et/ou parmi celles qui avaient de fortes comorbidités. La population des vacciné·es était structurellement plus vulnérable au COVID: l’écart de 1 à 5 est donc particulièrement spectaculaire.]
>> L’affirmation selon laquelle le vaccin n’était pas efficace et ne servait à rien est puissamment réfutée.
(2) Elle l’est d’autant plus qu’il faut aussi prendre en compte les effets indirects positifs de la vaccination. Les formes graves de Covid-19 provoquent des séquelles (notamment cardio-vasculaires), elles fragilisent les organismes, et donc elles entraînent des risques de mortalité plus élevés dans les années qui suivent l’hospitalisation pour Covid-19. En prévenant une partie des complications du COVID, la vaccination a donc réduit la mortalité à long terme de façon indirecte. Comme l’écrit The dendrobate doctor, « en protégeant contre le Covid et ses formes graves, le vaccin « économise » les organes comme le cœur ou les poumons, leur permettant de survivre plus facilement à un autre problème sous-jacent ou à un accident.«
(3) La troisième explication relève plutôt de la sociologie, voire de la psychologie : il y a des différences structurelles entre la population des personnes qui ont choisi de se faire vacciner et la population de celles qui ont choisi de s’y opposer, non seulement en ce qui concerne la vaccination, mais aussi en ce qui concerne le rapport au risque et à la prévention en général. Comme le résume The dendrobate doctor, « les gens vaccinés contre le Covid sont plus probablement vaccinés aussi contre la grippe, le pneumocoque ou autre saloperie que ceux qui ne le sont pas, et meurent donc, aussi, moins d’autres maladies évitables. » Mais plus largement, « les gens qui choisissent de se faire vacciner seraient meilleurs à évaluer les risques, à s’informer sur leur santé et à s’astreindre à des mesures protectrices. Leur choix d’être vaccinés contre le Covid obéirait aux mêmes mécanismes internes qui les pousseraient à être plus prudents au volant, à s’astreindre à couper le courant avant de démonter une ampoule ou à évacuer précocement lors d’alertes aux populations. » Ou bien à aller voir rapidement un oncologue au lieu de suivre les conseils d’un charlatan qui prétend qu’on peut faire disparaître le cancer par l’aromathérapie ou par le jeûne (coucou Casasnovas)… Cette hypothèse, on peut la résumer en disant que les antivax se mettent davantage en danger (et pas seulement en faisant le choix de ne pas se faire vacciner), si bien qu’il leur arrive plus souvent de mourir. Elle est sans doute à creuser pour pouvoir mesurer à quel point elle est pertinente, mais en tous cas elle ouvre des perspectives intéressantes en termes de prévention.
Au final, la conclusion de l’étude Epi-phare est éclatante: contrairement à ce que les complotistes hurlaient sur tous les tons (rappelez-vous, on nous prédisait une hécatombe de centaines de millions voire de milliards de de morts – et cela venait de gens qui accusaient l’Etat de chercher à obtenir l’obéissance par la peur, ces gens-là ne doutent de rien 🙄), le vaccin a sauvé de nombreuses vies.
J’ajouterais que la vaccination a aussi permis de réduire des vies parce qu’elle a permis aux personnels soignants de se consacrer à autre chose qu’au COVID (une fois la vaccination de masse lancée, hors comorbidités il n’y avait quasiment plus que des non vaccinés dans les services de réanimation), elle a permis à tout le monde de reprendre une vie à peu près normale (si bien sûr on considère que la vie dans une société industrielle est « normale »…), elle a réduit l’ampleur et la durée des mesures restrictives du type couvre-feu, confinement ou fermeture des lieux collectifs (puisque la vaccination permettait de protéger l’essentiel de la population, plus besoin de l’entraver pour la protéger), elle a donc permis de stopper la spirale de la destruction d’activité économique, d’en finir avec l’impression d’enfermement qui a généré des problèmes de santé mentale… Quand on fait le cumul de tout ça, je ne comprends pas comment on peut continuer à affirmer, contre toute évidence, que « le vaxxin a provoqué une hécatombe, onvoulavébiendi ».
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Bien sûr les complotistes se sont déchaînés pour dénoncer cette étude Epi-phare en affirmant que les scientifiques qui l’ont réalisée sont achetés par Big Pharma, que les données ne sont pas complètes ou sont biaisées, qu’elles occultent les cas innombrables de morts subites de personnes en bonne santé – parce que bien évidemment, jusqu’à l’apparition des vaccins Covid au tour début de l’année 2021, il n’y avait pas de morts subites de personnes en bonne santé 🙄. C’est fou le nombre d’antivax qui ont dans leur entourage proche plein de gens qui sont morts « à cause du vaccin » ou « le lendemain d’une injexxion » (ou qui suivent sur internet d’autres complotistes qui ont dans leur entourage des gens qui sont morts « à cause du vaccin » ou « le lendemain d’une injexxion » – ou qui prétendent qu’ils connaissent des gens qui sont morts « à cause du vaccin » ou « le lendemain d’une injexxion », ou qui ont entendu parler de gens qui connaissent des gens qui sont morts « à cause du vaccin » ou « le lendemain d’une injexxion »). À croire que les complotistes attirent la poisse… En fait l’explication est bien plus simple: dans certains cas, ils sont probablement mythos et ils inventent des anecdotes qui les arrangent et qui leur permettent de déployer leur « narratif » (ils aiment bien ce mot); ou bien, c’est très fréquent, ils n’ont aucune idée de la façon dont fonctionne concrètement la science et ils ne font pas la différence entre une opinion et un énoncé scientifique validé par les faits ; ou bien ils sont sujets à des biais cognitifs très connus (par exemple celui qui nous amène à davantage remarquer et mémoriser les informations qui nous impactent émotionnellement et qui vont dans le sens ce que nous croyons, ou bien à attribuer une signification statistique à des phénomènes qui n’en ont strictement aucune).
On dit souvent qu’une personne paranoïaque ne sera jamais apaisée par une information qui va à l’encontre de sa croyance, elle partira toujours du principe que si on lui fournit cette information, c’est la preuve qu’on veut continuer à le manipuler. « Tu me dis que tu n’as rien contre moi ? C’est la preuve que tu en as contre moi: tu veux endormir ma méfiance justement pour mieux m’embobiner! » Il en va de même avec la mentalité complotiste: « L’étude Epi-phare publie une étude qui est censée démontrer qu’il n’y a pas de complot ? C’est la preuve qu’il y a un complot, et il est même très puissant puisque même toi tu te laisses avoir, même à toi lézotorités arrivent à cacher qu’elles sont en train d’endoctriner les moutons avec des études bidons ! » Le résultat c’est que discuter avec un ou une complotiste à propos d’une théorie du complot à laquelle il ou elle adhère, c’est tout simplement impossible : il est persuadé d’avoir raison, et que celles et ceux qui ne pensent par comme lui sont des moutons; il considère que seules les sources et les personnes qui valident sa croyance ont de la valeur ; il doute de tout et de tout le monde, SAUF de ce qu’il croit lui-même et des gens qui partagent sa croyance (et il affirme que c’est une attitude scientifique, alors que c’est l’attitude exactement inverse de celle de la science, qui consiste à douter, oui, mais d’abord de ses propres prénotions! Ne pas confondre méfiance systématique et doute méthodique)… En fait, une personne complotiste a besoin de sa croyance pour donner du sens au monde et pour se rassurer en construisant d’elle-même l’image de quelqu’un « à qui on ne la fait pas », qui est « éveillé ». Elle est donc par définition inaccessible à la discussion argumentée qui risquerait de la confronter à ses erreurs de jugement. Parfois même elle va revendiquer l’étiquette de complotiste, en disant que c’est la preuve qu’elle « pense par elle-même », qu’elle « fait ses propres recherches » ou qu’elle est « anti-conformiste ». Tout cela, je l’ai constaté maintes et maintes fois, dans la vraie vie et sur les réseaux sociaux, et désormais je ne perds plus mon temps à discuter avec les complotistes aux sujet de leurs croyances, car c’est peine perdue (bien sûr et heureusement, les discussions restent tout à fait possibles, et souvent très agréables, à propos d’autres sujets!)
[Je précise que ce que j’écris là n’est en rien une affirmation sortie de mon chapeau: les corrélations entre la mentalité complotiste et la faiblesse de l’estime de soi, les tendances narcissiques, la méfiance à l’égard des autres et la paranoïa sont parfaitement démontrées par de nombreuses es études de psychosociologie. Je renvoie par exemple à cet excellent article de Pascal Wagner-Egger, qui est enseignant-chercheur en psychologie sociale et en statistique à l’Université de Fribourg: « Les causes psychologiques et sociales du complotisme » ]
Mais pour les gens qui savent comment fonctionne le champ scientifique, qui savent comment on produit des énoncés scientifiques et comment on les évalue avant de les publier, l’étude d’Epi-phare plie le game : les vaccins anti-COVID ont été très efficaces, ils ont permis d’éviter de très nombreux morts et/ou de nouveaux confinements (avec les problèmes sanitaires que cela aurait posé), et ils n’ont quasiment pas eu d’effets secondaires graves. Comme le dit Mahmoud Zureik, professeur de santé publique et directeur d’Epi-Phare, « Cette étude contribue à clore la désinformation véhiculée autour des vaccins à ARN messager. »
Point barre.
Fin de l’histoire.
(Sauf pour les complotistes, bien entendu, qui ces jours-ci s’en donnent à cœur joie concernant la DNC : ils étaient épidémiologues et virologues pendant le COVID, ils sont devenus spécialistes de géopolitique et de l’Ukraine à partir de mars 2022, beaucoup sont aussi climatologues et plus fins connaisseurs du climat que le consensus scientifique exprimé par le GIEC, et les voilà maintenant vétérinaires. Le complotisme est une plaie, et quand on sait à quel point il est exploité et attisé par les mouvements d’extrême-droite (ça aussi c’est démontré), il est l’un des principaux facteurs qui nous conduisent au désastre).
Dernière chose: qu’on ne me fasse pas dire qu’en critiquant le complotisme je suis du côté du système, ce serait encore un faux procès. L’article de Pascal Wagner-Egger que je viens de citer se conclut par la phrase suivante: « Comme le soulignait Boltanski (2012), critiquer les théories du complot ne revient pas à défendre le système social dans lequel nous vivons — qui à bien des égards est critiquable — mais revient à discuter la critique irrationnelle de ce « système », et à valoriser sa critique rationnelle (les enquêtes). Il s’agit bel et bien d’améliorer la critique sociale, et non pas de la museler ou de l’empêcher. » Je souscris à cette phrase à la virgule près (sauf que j’aurais écrit « scandaleux et dégoûtant » au lieu de critiquable »). Pendant que les complotistes s’égosillent, gaspillent leur énergie et détournent l’attention du public contre des complots imaginaires (par exemple contre « l’Etat profond »), ce qui ne change strictement rien à la marche du monde, les scientifiques et les journalistes sérieux et animés d’un sens de la justice dévoilent les vrais mécanismes de domination (par exemple la façon dont les groupes d’intérêts les plus puissants façonnent à leur profit l’action publique), contribuant ainsi à faire en sorte que le monde puisse devenir plus juste. En cela les complotistes sont les complices involontaires du système qu’ils prétendent combattre.
