Au hasard de mes divagations sur mon agrégateur d’information habituel, je suis tombé ce matin sur un article qui annonçait que Mariah Carey vient tout juste de battre un nouveau record historique : grâce à son tube « All I want for Christmas is you », elle est devenue la première artiste à rester 100 semaines numéro un dans les charts américains (le Billboard Hot 100), dont 21 semaines pour ce seul titre.
Dans ce même article, j’ai appris que cette année, pourtant, Mariah Carey n’est plus la reine incontestable de Noël comme elle l’a été depuis 31 ans. Sur Spotify en tous cas, « All I want for Christmas is you » a été dépassé par « Last Christmas » de Wham!, d’une courte tête (24,9 millions d’écoutes ces 72 dernières heures pour le duo de jolis cœurs aux brushings survitaminés, contre 24,3 millions pour la diva aux cinq octaves).
Personnellement, entre ces deux classiques hivernaux, je vote sans hésitation pour celui de Wham!, et pas seulement parce que quand il tourne en boucle, le tube de Mariah Carey a tendance à me péter un peu les oreilles 😬 Je n’ai jamais trop aimé « la magie de Noël », et pas seulement à cause de la débauche de consommation qui me file la nausée : c’est une période durant laquelle je me sens souvent assez seul, même lorsque physiquement je ne le suis pas. Alors quitte à partager une « chanson de Noël », j’aime autant que ce ne soit pas une chanson pop entraînante, et surtout qu’elle ne sente pas trop le chocolat chaud, le pain d’épices et les guirlandes. Il y a quelques années c’était le très beau « Noël à la maison » de Jean-Louis Murat : cette année, va donc pour « Last Christmas », qui n’est ni une chanson de fête ni une chanson d’amour.
Tout le monde connaît les premiers vers désolés de ce morceau, que je fredonne à chaque fois que je l’entends : « Last Christmas I gave you my heart, / but the very next day you gave it away ». Mais sait-on à quel point ils sont désolés ? Fait-on vraiment attention à ce qui suit ? « This year, to save me from tears / I’ll give it to someone special » : en cette année 1984, le père Noël a reçu des lettres plus naïves et plus joyeuses que celle-ci…
George Michael a raconté qu’il a écrit ce morceau seul, dans sa chambre d’enfance, pendant que son pote Andrew Ridgeley, le second membre du duo, était en train de regarder la télé avec ses parents. Ce qui lui est alors venu en tête, c’est une chanson sur un souvenir douloureux, celui d’un amour trahi et dont il n’arrive pas à faire le deuil. Il s’adresse à son ex, un an tout pile après leur séparation, et il dit humblement, avec des mots tout simples, qu’il essaie de tourner la page mais qu’il n’y arrive pas, et que le simple fait de la rencontrer, ou même de penser à elle, le plonge dans le chagrin. Dans le clip kitschissime et so eighties, les deux anciens amants se retrouvent pour fêter le réveillon de Noël dans un chalet de montagne, chacun accompagné·e d’une nouvelle personne, et la soirée tourne au supplice : « Crowded room, friends with tired eyes / I’m hiding from you and your soul of ice. » Derrière la mélodie simple et légère, derrière le rythme lent et presque calypso, derrière les accords basiques, derrière le pont de clochettes synthétiques, ce qui domine c’est la douleur et la solitude, exprimées par la voix belle, puissante et charnelle de George Michael. Et le contraste ou le mélange entre tout cela, bien sûr, c’est la recette imparable pour un petit bijou de mélancolie.
Si cette chanson me touche, c’est aussi parce que j’aime beaucoup la personnalité de George Michael (de son vrai nom Georgios Kyriacos Panayiotou, mais ça aurait pris plus de place sur les pochettes de disques et les affiches de concerts). Quand il a écrit et composé « Last Christmas », il n’avait que 21 ans, mais on dirait que du fait de son extrême sensibilité il avait déjà compris tout ce qu’il y avait à comprendre de l’amour : il enflamme, il transporte, mais comme on sait, « les histoires d’amour finissent mal, en général » . La suite de sa vie a été un long témoignage de sa fragilité et de son cœur. Il s’est de plus en plus engagé dans des causes caritatives et notamment dans la lutte contre le Sida, avec notamment une reprise enflammée de « Somebody to Love » de Queen, à l’occasion du concert organisé en 1992 à Wembley en hommage à Freddie Mercury. L’année suivante, son compagnon Anselmo Feleppa mourra d’une hémorragie cérébrale liée au sida, et George Michael lui dédiera trois ans plus tard ce qui allait être son album « Older ». En 1997, la mort de sa mère des suites d’un cancer va lui porter un coup supplémentaire, et s’il enregistrera encore quelques albums, il n’arrivera plus à écrire ni à composer, et il entrera dans l’actualité davantage parmi les faits divers que dans la rubrique musicale (une arrestation pour « atteinte à la pudeur », une autre pour consommation de drogue…). Il finira sa vie hanté par la maladie et la mort, jusqu’à son décès fort jeune, à 53 ans, aussi seul qu’il est entouré dans ce clip, et quand ça ? Le jour de Noël – il y a sans doute pas mal de gens qui ont appris la mort du chanteur en écoutant la chanson elle-même ! L’ironie est d’autant cruelle que ce n’est qu’après sa disparition que « Last Christmas » s’est hissée au sommet des charts…
Sur ce titre, George Michaël a tout fait de A à Z : il a écrit et composé, il a produit, il a joué de la boîte à rythme et de tous les instruments sur son synthétiseur Roland (avec un ou deux doigts, pas plus), et il a chanté toutes les lignes de voix. Cinq semaines après la sortie du single, devant son énorme succès, lui et son compère Andrew ont décidé de reverser les bénéfices à une association contre la famine en Éthiopie. En cela la chanson représente bien, finalement, l’esprit de Noël… Comme je l’ai lu dans une jolie chronique consacrée à « Last Christmas », ce n’est pas juste une chanson de Noël, « C’est une chanson sur le chagrin, la nostalgie et la lumière qu’on finit toujours par retrouver. » Hope so.
En me renseignant pour écrire cette chronique, j’ai appris que George Michal a très peu chanté « Last Christmas » sur scène. L’un des rares enregistrements live date du 17 décembre 2006 à la Wembley Arena. La joie et l’enthousiasme des fans (essentiellement des femmes), qui transforment le stade en une immense chorale de Noël, fait plaisir à voir, et George Michael y apparaît élégant, à l’aise et confiant, avec une voix plus mature et plus chaleureuse. Ça vaut le coup de découvrir cette version, alors c’est celle-ci que je vous fais découvrir, ou redécouvrir.
Même si je sais que je n’ai peut-être pas choisi la meilleure chanson pour cela, je vous souhaite un joyeux Noël !


Moi aussi je me suis souvent sentie très seule à Noël, c’est une période de l’année que je n’aime pas beaucoup.
« Le chagrin et la nostalgie » je connais, mais la lumière je l’attends toujours …
Merci pour cette chronique. J’ignorais totalement l’histoire de cette chanson et surtout l’état d’esprit de son auteur.
Joyeux Noël Grégory !