Pink Floyd – « Wish you were here »

Voici sans doute LA chanson qui me bouleverse le plus, et ce à chaque écoute. Ça ne rate jamais.

J’ai découvert cet album quand j’avais douze ou treize ans, en piochant dans la discothèque de vinyles de mes parents. Je l’ai enregistré sur l’une de mes rares cassettes audio, avec une face pour « Wish you were here » et l’autre pour « Dark side of the moon » . Cette cassette, je l’ai écoutée je ne sais combien de fois, pendant des après-midis de lecture durant lesquels je la retournais plusieurs fois sur mon petit magnétophone de marque Crown.

Pour moi, « Wish you were here » est le meilleur album des Pink Floyd, l’apogée et l’apothéose du groupe.

Ce disque est surtout connu pour le surnaturel « Shine on your crazy diamond » , qui semble enregistré dans l’espace tellement il est planant.

Mais je préfère encore la chanson »Wish you were here » , bien qu’elle soit beaucoup plus traditionnelle. Parce que c’est une ballade folk-rock grandiose et déchirante, qui offre une fragile et ô combien précieuse oasis de chaleur humaine dans un univers pétrifié et glacé comme un iceberg.

C’est une chanson adressée à un ami disparu, perdu dans les limbes du LSD et de la paranoïa: l’ex chanteur du groupe, Syd Barrett, qui fera un très bref passage pendant une session d’enregistrement, méconnaissable et pathétique, provoquant alors les larmes de Roger Waters et David Gilmour. Stupeur et tremblements devant la déchéance et l’inexorable descente aux enfers d’un ami… « Remember when you were young, you shone like the sun / Shine on you crazy diamond / Now there’s a look in your eyes, like black holes in the sky« 

La chanson fait également référence à la déliquescence progressive des liens qui unissaient les membres de Pink Floyd, lequel est en train de lentement se dissoudre. Elle est toute entière irriguée par cette amertume et cette tristesse de voir des liens précieux se déliter.

Sur l’album, le début de « Wish you were here » est fait de sons bizarres, produits par une radio dont on tourne le curseur au hasard pour chercher enfin un morceau à sa convenance. Au bout d’une quinzaine de secondes, un bref silence se fait et deux guitares apparaissent successivement: l’une électrique, au son lointain et assourdi, timide et répétitive, puis l’autre acoustique, presque country, bien plus mobile et mixée de façon beaucoup plus proche. La voix de David Gilmour entre en scène à 1’19, et c’est alors parti pour une chanson fantastique, où les guitares dialoguent et échangent plusieurs fois leurs rôles respectifs (accompagnement et mélodie), passant des arpèges aux accords.

Quand au texte, beau et tranchant comme un diamant, il parle bien entendu de l’absence – j’y reviendrai.

Mais il parle aussi, à mon avis, de l’effort nécessaire pour ne pas être spectateur de sa propre vie, pour « éprouver suffisamment son existence » , comme l’a dit Roger Waters dans une interview. La première partie chantée est une litanie de questions : Es-tu bien sûr de savoir faire la différence entre le bien et le mal ? Est-ce que tu crois que tu serais assez clairvoyant pour distinguer le paradis de l’enfer, le ciel bleu de la souffrance, un vert pâturage d’un rail d’acier froid, un sourire d’un voile, un air chaud d’un souffle frais ? Est-ce que tu préfères jouer les figurants dans une armée plutôt qu’occuper un rôle principal au quartier général ? Est-ce que tu serais prêt à échanger (trahir ?) tes héros contre des spectres, ou des arbres contre des cendres brûlantes ? À préférer un froid confort au frisson du changement ?

Tout cela sonne davantage comme un appel à la vie aventureuse et vibrante, comme une invitation à ne plus se laisser faire et manipuler (« Did they get you to trade… ?« ) , que comme une déploration sur l’absence.

Il reste que cette dimension (l’effroi devant la solitude existentielle) est bel et bien présente, et poignante. Après le pont, à 2’58, les derniers vers sont d’une puissance… Pour peu que ce soit un jour où je me sens plus fragile qu’à l’accoutumée, et même lorsque ma météo intérieure est plutôt au beau fixe, cette évocation de « deux âmes perdues nageant dans un bocal » , « foulant toujours la même terre usée » et qui n’ont rien trouvé d’autre que « les mêmes vieilles peurs » , et ce bouleversant « How I wish… How I wish you were here » , tout cela réveille la partie la plus vulnérable de moi-même et me laisse tremblant et en larmes, brutalement confronté au côté le plus douloureux du sentiment de solitude et d’abandon, avec une envie de gueuler les paroles comme si ma vie en dépendait.

Et de fait, je ressens de plus en plus que ma vie en dépend – je veux dire des autres, de leur présence chaude et réconfortante, de l’énergie qu’ils me transmettent, et de l’envie qu’ils font naître en moi de leur donner ce que j’ai de meilleur. Sans les autres, je ne suis qu’un continent à la dérive.

Bref, quel chef d’oeuvre…

J’ai toujours pensé que « Wish you were here » est une chanson pour penser aux absents. « Si seulement tu pouvais être encore là… »

Mais avec le temps, je me dis de plus en plus que c’est aussi, et peut-être surtout, une chanson pour ne pas oublier de profiter des présents. « Enjoy you are here » .

« How I wish, how I wish you were here.

We’re just two lost souls

swimming in a fish bowl,

year after year,

running over the same old ground.

What have we found ?

The same old fears.

Wish you were here » .

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