« In the mood for love » : d’humeur à aimer, d’humeur à tomber amoureux, d’humeur à se laisser traverser et illuminer par une rencontre.
C’est ce que décrit ce merveilleux et fascinant film de Wong Kar-wai, rempli de mystère, de volupté, de romantisme, d’élégance, de pudeur. C’est l’un de mes films préférés, à la fois pour l’histoire et pour la mise en scène qui est d’une beauté formelle exceptionnelle, mais aussi pour sa musique ensorcelante, notamment pour le le fantastique thème principal aux cordes scandées et au violon aérien et poignant (« Yumeji’s theme » , de Shigeru Umebayashi).
L’histoire du film est celle de deux amoureux transis qui, à force de se rater, vont apprendre le renoncement.

Un homme et une femme blessés par la vie entament une romance qui restera platonique, et dont le secret sera emmuré et scellé à jamais dans le temple d’Angkor, durant une scène finale bouleversante. Entre temps, ces deux personnages auront comme dansé l’un autour de l’autre, avec une sensualité d’autant plus frémissante qu’elle ne sera jamais assumée, seulement éprouvée et suggérée avec toute la retenue du monde. Les sentiments sont enfouis ou exprimés à contretemps, mais la mise en scène et le jeu des acteurs leur confère, pour nous qui assistons à leur histoire, une puissance émotionnelle incroyable.
« Il y a quelque chose de très frappant et de très beau » dans ce film, c’est l’usage des ellipses, qui sont très marquées par les vêtements. « À aucun moment dans le film, rien ne vient nous dire «dix jours après» » , mais d’un plan à l’autre, M. Chow porte une cravate différente et Mme Chan porte une robe différente (aussi élégante et sobre que la précédente). Ce choix de Wong Kar-wai montre de manière admirable « que le temps est une notion extérieure et que ce qui compte, ce sont seulement les sentiments des personnages » (Charles Dantzig).
Si ça se trouve, l’adjectif « envoûtant » a été créé pour qualifier ce film, cette musique, ces visages, ces regards, et ces corps qui se déplacent au ralenti, comme délicatement aimantés l’un par l’autre.
« C’est l’histoire immortelle de l’homme et de la femme qui n’osent pas s’aimer » . « Hong-Kong, 1962, Boy meets girl. Comme ils ne sont plus des gamins, Man meets woman. Ils sont voisins de palier. Ils vont se croiser, se frôler, se rencontrer, se parler (peu), tomber amoureux, hésiter, pleurer, rêver, souffrir, se quitter, regretter de s’être finalement ratés, revenir sur les lieux de leur amour non consommé, et puis se souvenir du peu qu’ils ont vécu ensemble » (Les Inrockuptibles).
« Regretter de s’être ratés » , la scène à 3’45 dans la séquence ci-dessous dit cela à la perfection: un homme aux yeux fixés dans le vague, d’une tristesse insondable, une femme qui s’éloigne lentement avant de jeter un regard en arrière… et ma gorge qui se noue.