J’ai déjà partagé un titre de cet album aussi original que beau, enregistré en studio mais dans les conditions du direct devant un public de 200 personnes.
En voilà un deuxième, et ce n’est toujours pas « Un homme heureux » (ça viendra, promis!): c’est une chanson qui parle merveilleusement de trois des choses qui m’émeuvent le plus au monde – les enfants, les mamans, et le lien indestructible qui les unit.
Dans cette chanson très émouvante, un enfant raconte l’intrigante folie de sa mère, mais sans s’en plaindre ni décrire le mal que ça lui fait. Cela viendra plus tard peut-être, s’il a assez de lucidité et de courage, et il aura sans doute besoin pour cela des bras d’un proche ou du cabinet d’un thérapeute. Mais ce n’est pas encore l’heure.
Pour l’instant, ce que cette chanson exprime, c’est l’amour invincible que tous les petits enfants ont pour leur maman, quoi qu’elle fasse, qu’elle soit simplement fofolle ou carrément dingo, et même quand elle est franchement toxique. « Quand elle s’envole, on lui tient la main » , et on s’y agrippe, parce que c’est avec elle qu’on a créé « Le premier lien » (titre d’un formidable livre de Blaise Pierrehumbert sur la théorie de l’attachement de John Bowlby), et parce qu’on croit dur comme fer qu’on ne pourrait pas vivre en dehors de sa présence.
Parfois cette main nous est arrachée, même de façon momentanée, alors même qu’on en a encore tant besoin. La solitude glaciale que l’on ressent alors est terrible à vivre – tellement qu’en général on préfère s’arranger pour ne pas la ressentir consciemment, et on grandit en s’accrochant à l’image d’une enfance idéalisée.
Quand j’étais petit, ma mère chantait beaucoup, souvent, joyeusement, avec une jolie voix douce. Je me souviens encore de son chant qui emplissait la maison pendant qu’elle cuisinait. Un jour, je devais être un grand ado, mon frère m’a dit: « Tu as remarqué, maman elle ne chante plus » . Non, je n’avais pas remarqué, mais cette formule m’a percuté.
Plus tard j’ai compris que ce chant qui s’était fait de plus en plus rare jusqu’à s’absenter tout à fait, c’était le signe qu’en elle une flamme s’était éteinte petit à petit. Avec les années, des lectures, un peu de maturité, et un travail en thérapie, j’ai découvert combien cette mère était fragile, sensible, blessée par sa propre enfance. Pendant longtemps, sa détresse a été si prégnante et si difficile à vivre pour moi, si envahissante, que je n’ai pas su quoi faire d’autre que prendre mes distances et baisser le rideau.
Il m’a fallu un long chemin pour redécouvrir, il y a très peu de temps, à quel point j’en ai le coeur plein, et à quel point je n’ai pas envie qu’on nous la vole ou qu’on l’emmène au loin.
« Quand maman rigole,
on oublie qu’on a faim,
que c’est l’heure de l’école,
qu’on a peur des voisins
Elle est notre idole,
on en a le cœur plein,
faut pas qu’on nous la vole
ou qu’on l’emmène au loin »