Cigarettes after sex – « Apocalypse »

Aujourd’hui c’est l’anniversaire d’Aurore (elle a 21 ans), et je saisis l’occasion pour partager la chanson dont elle m’a dit plusieurs fois qu’elle est sa préférée… et que j’aime beaucoup moi aussi!

Cigarettes after sex est un groupe texan formé en 2008 par Greg Gonzales, qui a d’abord développé le projet en solo avant de s’adjoindre petit à petit les autres musiciens. Il a commencé par obtenir un succès très significatif sur Internet avant de sortir quelques EP, et un premier album en 2017 seulement: c’est peu dire que les préliminaires ont été longs.

Le nom du groupe, assez surprenant, en dit beaucoup sur l’ambiance musicale autant que sur les textes: de même que l’amour est souvent suivi, dit-on, d’un instant de mélancolie appelé la « petite mort » , on est ici en plein dans la dream pop, avec une musique éthérée, vaporeuse, flottante, immersive, hypnotique, lascive, sensuelle… Une musique qui rappelle celle de Mazzy Star, dont Greg Gonzales se dit très fan. Il parle de ses chansons comme de « ballades romantiques brumeuses et douces » : de fait, l’impression de délicatesse est ici produite par une rythmique soyeuse, par les arpèges d’une guitare électrique cristalline, par son timbre androgyne et feutré…

La mélancolie qui se dégage de la musique de Cigarettes after sex est évidente aussi du côté des textes. Ceux-ci expriment un désir d’amour qui, à première vue, peut paraître romantique et tendre (« Kisses on the foreheads of the lovers / wrapped in your arms » ), mais qui me paraît plutôt marqué par un pincement au coeur permanent, une impression de solitude et une angoisse d’abandon dont on n’arrive pas à se délester, ce pourquoi on rêve d’être emmaillotté par l’amour d’un être cher qui pourrait nous préserver de la dureté du monde.

En réécoutant plusieurs fois cette bulle musicale cotonneuse qu’est « Apocalypse » pour rédiger cette chronique, j’ai pensé à « Lost in translation » , ce beau film dans lequel Sofia Coppola met en scène deux personnages désoeuvrés et un peu à la dérive, qui ne savent plus trop où ils en sont dans leur vie, et qui en se rencontrant retrouvent le désir et le courage de confier leur malaise et de demander de l’affection. C’est aussi l’impression que me donne cette chanson: une personne fragile et égratignée par la vie exprime un désir de connexion auquel elle ne croit peut-être plus guère (il y a eu trop de déceptions par le passé), mais qu’elle ne veut pas abandonner tout à fait, parce qu’alors son monde intérieur ressemblerait à une toundra désolée et battue par le vent.

Mais l’affection qui est ici recherchée, ce n’est peut-être pas celle qu’on l’on pourrait obtenir dans le cadre d’un couple installé, avec tous les risques que comporte le fait de se lancer dans un tel projet: c’est plutôt celle, douce et réconfortante, mais pas tout à fait comblante, que l’on voudrait obtenir d’une amitié amoureuse. Sans bien connaître le groupe, ni ses fans ni ce qu’ils ou elles apprécient en lui, j’ai l’impression que Cigarettes after sex est adoré parce qu’il incarne la tension de plus en plus répandue entre une difficulté de plus en plus grande à s’engager dans une relation amoureuse suivie (à en croire les statistiques, de plus en plus de jeunes ne se déclarent pas en couple), une tendance à se réfugier dans son cocon en mode hikikomori, et un manque affectif dévorant, bien qu’exprimé en sourdine. Le groupe exprime à merveille le fait d’être accro à l’amour: et « accro » signifie qu’on a besoin d’une came qui, sur le moment, apporte un peu de réconfort, mais dont l’absence, le reste du temps, se fait cruellement sentir, si bien qu’on est tenté d’anesthésier ses sentiments dans une musique ouatée…

Peut-être que j’interprète trop?

En tous cas Greg Gonzales lui-même développe souvent ces thèmes dans ses interviews. Dans un entretien accordé aux Inrockuptibles, il a dit par exemple qu’il a vécu bien des déconvenues avec son amour de jeunesse, une dénommée Kristen que l’on retrouve à plusieurs reprises sur le disque comme « un fantôme évanescent » (Juliette Redivo). Cette relation amoureuse a été « passionnelle » , dit Gonzales, mais elle a été vécue « à longue distance » , avec les fantasmes, les illusions et la frustrations que cela peut susciter. Cette histoire et cette rupture, et d’autres, sont la trame des chansons de Cigarettes after sex, et il en résulte une description de l’amour assez captivante, parce qu’elle l’associe au mystère (« Si tu es passionné par quelqu’un, tu ressens un sentiment qui ressemble au brouillard, à de la fumée. Je veux que ma musique fasse ressentir cela » )… mais dans tout cela il y a aussi quelque chose de très déceptif.

Pour être clair, il me semble qu’au fond, Cigarettes after sex préfère rêver l’amour que le vivre, tel les éternels amoureux de l’amour. Greg Gonzales, encore: « À chaque fois que je tombe amoureux, je ressens une certaine peur. Je sais que cela me rend vulnérable et que cela peut être dangereux. » Et pourtant il y retourne, encore et encore: « Dans ma vie, les sentiments amoureux ont toujours éclipsé tous les autres. Être amoureux a toujours été la seule manière pour moi de me sentir vivant. C’est pour ça que j’en parle autant dans mes chansons. »

Avec un tel état d’esprit, il n’est pas étonnant que le thème de cette chanson, « Apocalypse, » soit assez désabusé: la chanson évoque à la fois le maelström émotionnel que provoque le premier baiser (« Your lips, my lips / Apocalypse » – comme l’a dit Greg Gonzales, « pour moi ces paroles veulent surtout dire que quand tu embrasses pour la première fois quelqu’un pour qui tu as des sentiments forts, tu es forcément un peu sonné. Comme si le temps s’était arrêté » ), mais aussi la difficulté à dire adieu dans une relation (« Oh, please / come out and haunt me » / « You’ve been locked in here forever/ And you just can’t say goodbye » )…

Quand j’étais adolescent, j’étais tout à fait dans cet état d’esprit, sans doute parce que je ne m’imaginais pas digne d’être aimé, et parce que je pensais que l’amour ne pourrait m’appporter que du chagrin. Bien entendu, avec un tel a priori, je partais dans la vie amoureuse avec un sacré handicap, un peu comme un marathonien portant des tongs et un sac à dos de randonnée.

Aujourd’hui, j’ai plus envie de vivre l’amour que de le rêver.

J’espère que c’est aussi ce qu’Aurore ressent dans son coeur – et si ce n’est pas le cas, j’espère que ça ne saurait tarder. Tu le mérites tellement, ma chérie. Joyeux anniversaire!

« When you’re all alone,

I’ll reach for you

When you’re feelin’ low,

I’ll be there too »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *