La condamnation de Nicolas Sarkozy pour « association de malfaiteurs » a suscité un déluge de protestations et d’invectives à l’encontre d’un jugement prétendument « politique » et dicté par la « haine », et plus largement à l’égard de l’institution judiciaire. D’éminents juristes tels que Carla Bruni, Cyril Hanouna ou Karine Lemarchand ont apporté leur soutien à leur amoureux ou leur ami très cher, l’ensemble des dirigeants de la droite dite « républicaine » (jusqu’à quand?) ont pris le parti de l’ancien président de la République, la plupart des éditorialistes des médias mainstream et de la Bollosphère leur ont emboîté le pas servilement.
La réalité est pourtant tout autre : au termes d’une procédure instruite de façon longue, fouillée et précautionneuse, un ensemble de magistrats ont jugé, en droit, que le comportement de Nicolas Sarkozy a été celui d’un voyou et qu’il a clairement enfreint la loi, ce qui justifie amplement sa condamnation et son incarcération prochaine. Celles et ceux qui l’ont défendu se sont déshonoré·es et ont souillé la démocratie qu’ils et elles prétendent pourtant servir.
Depuis quelques mois, j’ai plusieurs fois lu la formule « moment trumpien » à propos de l’entreprise de démolition de la politique environnementale, et je l’ai lue à nouveau à propos de la réaction des proches de Sarkozy à son jugement. Cela me paraît tout à fait pertinent : même volonté de faire taire les opposants, même haine de la Justice et des médias faussement accusés d’être « d’extrême-gauche », même tendance à mentir effrontément et à raconter sciemment n’importe quoi du moment que cela peut servir la cause des puissants et des copains-copines. Jusqu’à il y a quelques semaines, je pensais qu’un trumpisme à la française ne pourrait venir que du RN et de l’aile la plus réactionnaire de LR, mais cette affaire m’amène à penser que c’est l’ensemble de LR, et une grande partie des médias (même en dehors de la Bollosphère), qui l’appelle de ses vœux et qui la soutiendra.

Quoi qu’il en soit, dans cette excellente interview au Monde, Philippe Conte revient sur cette affaire et éparpille façon puzzle la défense de Sarkozy et de son clan. Vous ne le connaissez sans doute pas, mais ce n’est pas n’importe qui : il est Professeur émérite de droit pénal à l’université Panthéon-Assas (qui est pourtant réputée pour être une université clairement conservatrice, pour ne pas dire « de droite »), il est l’auteur de nombreux ouvrages en matière de droit pénal et de procédure pénale, il est codirecteur de la revue Droit pénal… Philippe Conte remet ici les pendules à l’heure : non, les juges n’ont pas statué selon leur bon plaisir ou leur ressentiment dans l’affaire dite « du financement libyen » : ils ont simplement appliqué les lois en vigueur (celles-là mêmes qui avaient été votées hier par ceux qui s’en plaignent aujourd’hui!).
Et c’est un grand Cheh!!!
Extraits de cette interview ⤵️
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« Ce jugement a été accueilli par un tonnerre de protestations véhémentes par les partisans de Nicolas Sarkozy. On peut comprendre leur irritation, voire leur colère, mais elle s’est accompagnée d’un déluge de contre-vérités juridiques mêlées à une agressivité gratuite à l’encontre de la présidente de la juridiction.
Cette décision a pourtant été rendue non par une seule magistrate, mais par une formation collégiale, et elle clôt une procédure longue de douze ans : depuis l’ouverture de l’enquête, des dizaines et des dizaines de magistrats ont eu à connaître de l’affaire – et il serait très étonnant qu’ils aient tous éprouvé, envers Nicolas Sarkozy, une « haine » les poussant au règlement de comptes.«
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« Le débat a été marqué par une grossière inversion des rôles : les partisans de Nicolas Sarkozy ont proclamé haut et fort qu’il était victime de la haine des juges, voire d’un complot ourdi par l’institution judiciaire, alors qu’il est non pas une victime, mais un délinquant.
Au terme d’un procès de trois mois où les droits de la défense ont été respectés, les preuves discutées et les arguments échangés, le tribunal judiciaire de Paris l’a reconnu coupable d’association de malfaiteurs – une infraction d’une grande gravité. Les juges n’ont pas statué selon leur bon plaisir, leur caprice ou leur ressentiment : ils ont rendu une décision argumentée de près de 400 pages, qui applique les lois votées hier par ceux-là mêmes qui s’en plaignent aujourd’hui.
À cette première inversion des rôles s’est ajoutée une seconde. Ce sont précisément ceux qui vitupèrent en permanence le supposé laxisme des juges – alors même que le nombre de détenus n’a jamais été aussi élevé – qui se plaignent aujourd’hui du prétendu excès de sévérité du tribunal judiciaire de Paris. Et ce sont précisément ceux qui ont défendu à cor et à cri le principe de l’exécution provisoire des peines d’emprisonnement au nom d’une lutte déterminée contre la délinquance qui dénoncent aujourd’hui le fait qu’elle a été appliquée à Nicolas Sarkozy. C’est tout de même assez singulier…
En multipliant les « faits alternatifs » sur le ton de l’indignation, en saturant l’espace public de bruit, de confusion et de fureur, les partisans de Nicolas Sarkozy ont sapé les fondations du monde politique et du monde judiciaire – bref, de la démocratie. Il n’est pas supportable que des élus tentent de dresser les citoyens contre la justice et les juges. En tant qu’universitaire, il m’incombe de le dénoncer.«
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« Il y a, dans cette tempête de protestations, voire d’éructations, quelque chose de très français – l’idée que le droit pénal est fait pour la canaille, pas pour les membres des conseils d’administration ou les élus de l’Assemblée nationale. Quand la justice condamne les classes populaires, les habitants du 9-3 ou les caissières de Carrefour qui détournent quelques dizaines d’euros, elle ne scandalise personne ; mais quand elle vise le chef d’une grande entreprise ou un représentant du Palais-Bourbon, la décision semble scandaleuse – comme si le fait de porter une Légion d’honneur à la boutonnière vous empêchait d’être un voyou.
Pourtant, dans un État de droit, la loi pénale est la même pour tous : un ancien président de la République n’est pas au-dessus des lois. Il faut même aller plus loin et considérer que le chef de l’État, en raison de son statut, doit être exemplaire : s’il ne l’est pas, la peine doit refléter ce manquement au principe d’exemplarité. C’est l’application d’un vieil adage que l’on peut résumer en deux mots : noblesse oblige. » [Une formule que personnellement j’aime beaucoup utiliser]
Le principe de l’incarcération avec exécution provisoire a nourri nombre de polémiques au lendemain du prononcé du jugement, mais il n’a rien d’inhabituel pour une peine de cinq ans de prison. « Cette réflexion témoigne d’une totale méconnaissance de la vie judiciaire. Dans les prétoires, le recours à l’exécution provisoire est une pratique répandue, voire banale : selon l’Union syndicale des magistrats, le syndicat majoritaire de la magistrature, environ 85 % des peines de prison de plus de cinq ans sont assorties d’une exécution provisoire.
Pourtant, jusqu’à la condamnation de Nicolas Sarkozy, cet usage, hormis le cas récent d’une peine d’inéligibilité concernant une élue [Marine Le Pen], n’avait jamais suscité l’indignation du personnel politique. Ce sont d’ailleurs les parlementaires, et non les magistrats, qui sont à l’origine de cette règle : ils l’ont votée au nom du renforcement de la répression pénale – sans se douter qu’elle serait un jour appliquée à l’un des leurs…«
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« L’association de malfaiteurs est une infraction très ancienne qui permet de sanctionner non pas la commission d’un crime, mais la préparation d’un projet criminel qui n’a pas été mené à son terme.
Comme toutes les infractions, elle suppose un élément matériel et un élément moral : le premier est défini comme « tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement », le second comme la participation à l’association en connaissance de son caractère illicite. Contrairement à ce qui a été dit sur tous les tons, l’association de malfaiteurs ne réprime donc pas la « seule intention ».
Pour les partisans de Nicolas Sarkozy, la condamnation de l’ancien président est extravagante, car le tribunal n’a pas pu établir l’existence d’un pacte de corruption ou d’un financement illégal de campagne. En réalité, c’est cette critique qui est extravagante : l’association de malfaiteurs désigne précisément la préparation, et non la commission, d’une infraction ! Le tribunal a d’ailleurs précisé, dans son jugement, que l’association de malfaiteurs que Nicolas Sarkozy avait constituée avec Claude Guéant, Brice Hortefeux et Ziad Takieddine avait pour objectif de « préparer » une corruption au plus haut niveau.
Contrairement à ce qu’affirment les partisans de Nicolas Sarkozy, la personne qui est condamnée pour association de malfaiteurs n’a pas « rien fait » : elle a élaboré le projet, en se concertant secrètement avec d’autres, de commettre un crime ou un délit réprimé par le code pénal. L’association de malfaiteurs n’est d’ailleurs pas la seule infraction du droit pénal français conforme à ce modèle. Si l’on voulait que le droit pénal se contente de réprimer les projets qui ont été menés à leur terme, il faudrait dépénaliser les tentatives de meurtre et la préparation de vols à main armée contre des banques – je doute que ce soit le projet des partisans de Nicolas Sarkozy…«



